Un jour de congé. Voilà un truc qui sonnait véritablement bien. Je pourrais me réveiller avec le soleil, avec une tasse de thé bien chaude et le tout dernier jeu de ma série préférée. Puis j'irais probablement déjeuner avec la famille, quelque chose comme ça, journée bien tranquille. Enfin, ça c'était avant qu'une illumination me frappe en même temps que le bordel qui régnait dans l'appartement. -Ce qui est plutôt relatif, la notion de bordel de Yuan décrétant que si le service à thé est sale et que les cendriers sont plein, on est en pleine zone de guerre-. C'était aujourd'hui que ma colocataire arrivait. Passant une main dans ma chevelure d'ébène, je poussai un soupir tout en cherchant les alumettes. Rien de tel que la première cigarette de la journée pour se poser et faire un plan d'action, ou juste rester posé aussi longtemps que possible et procrastiner un peu. Bref, la future chambre de l'inconnue mystère possédait déjà un lit et une commode, mais le placard était encore plein de mes propres effets et il aurait été surprenant qu'elle apprécie que j'y laisse mon animal de compagnie. Que voulez vous, tout bon personnage un peu dark doit avoir un petit quelque chose de mignon pour l'accompagner et dévoiler son côté plus doux envers les animaux. Je pris donc le bocal de mon poisson rouge et l'installai au salon, près de la fenêtre. Tiens, rêve en grand et sois émerveillé à toutes les cinq secondes, tu ne pourras pas dire que je ne t'ai pas offert une vie grandiose.

Cela mis derrière moi, je pu m'asseoir et relaxer un peu en terminant ma cigarette, épuisé par l'effort. Bon, non d'accord, mais j'avais encore du temps libre. Deux cigarettes, un thé et un peu de méditation plus tard, je me mis finalement à l'ouvrage. Tout d'abord récurer la salle de bain de fond en comble et prévoir un espace pour les effets de ma future colocataire. Après tout, si j'avais appris quelque chose de ma soeur despotique, c'était que les femmes avaient toujours besoin de beaucoup d'espace, donc autant partir du bon pied et montrer que j'étais ouvert à la cohabitation. Vint ensuite le tour de la chambre elle-même alors que j'ouvris la fenêtre, transférai tous mes effets dans ma propre chambre, en petit -immense- tas de trucs dans un coin. Osef, je pouvais toujours fermer la porte, j'avais la flemme de ranger ça maintenant et j'avais encore à faire, comme nettoyer la cuisine, le salon et prendre une douche, sans oublier de prendre quelques niveaux à Pokémon entre deux soupirs ennuyés. Au moins elle ne pourrait pas dire que ce n'était pas propre ici. Quoi qu'il en soit, lorsque tout fut terminé je pu aller décompresser sous l'eau chaude, véritable bénédiction après cette journée d'enfer. Sacrifier ainsi un jour de congé, c'était d'une tristesse.

Je sortais tout juste de la salle de bain, une serviette de bain à la taille, lorsque l'on cogna à la porte de façon énergique. Je laissai cette fois échapper un soupir énervé, froncant les sourcils. Si vite? Pourtant je n'avais pas perdu de temps dans mes préparatifs. J'ouvris donc la porte de ma chambre avec hâte, ouvrant un tiroir pour rapidement enfiler un boxer et des pantalons, passant à deux doigts de faire une mauvaise chute alors que j'enfilais le vêtement en sautillant jusqu'à la porte, laissant quelques jurons chinois, et tout à fait fleuris, m'échapper sur le chemin. On aura vu plus glorieux pour un champion de kung fu, tout de même. Malgré tout, je gagnai ma destination, torse nu et dégoulinant encore de l'eau de la douche, mes cheveux mouillés collant à mon visage, laissant néanmoins à découvert mes yeux d'un vif bleu-acier, le regard neutre pour dissimuler ma gêne. Après avec un travail comme le mien, il devenait assez facile de sembler de marbre en toute circonstances. Bref, la porte. J'ouvris sans plus de cérémonie pour découvrir ma future colocataire. Cheveux bruns, la mine enjouée, ayant tout l'air d'être un substitut de choix à mon poisson rouge dans la catégorie "animal de compagnie mignon". À ses côtés reposaient de lourds sacs me faisant tiquer. Elle aurait tout de même pu monter avant et me demander un coup de main, sauf si bien sûr elle avait d'autres effets à monter, auquel cas il était logique d'en avoir emporté au moins une partie pour le premier voyage.

- Salut. Tu peux mettre tes trucs dans la chambre, c'est au fond du couloir. Il y a d'autres choses à monter?

Dis-je simplement, déjà prêt à faire comme si ma tenue ne me formalisait pas et à dévaler les escaliers pour aller chercher ses autres sacs au besoin, si autres sacs il y avait. Quant à me présenter.... J'y penserais sans doute plus tard, les trucs pratiques d'abord, les formalités ensuite. Parlant d'informations véritablement pratiques, je devrais peut-être la mettre tout de suite au courant, pour qu'il n'y ai pas de problèmes plus tard.

- J'espère que tu n'as rien contre les animaux, j'ai un poisson rouge dans le salon.

Parce que c'était nécessairement plus potentiellement dérangeant que la fumée de cigarette ou mes séances d'entraînement, lorsque je monopolisais tout le salon pour répéter des mouvement au nunchaku, faire des pompes ou battre violemment le punching bag accroché dans un coin de la pièce. J'ai toujours eu un excellent sens des priorités.

J'avais donc, finalement, ouvert la porte à celle que j'estimai être ma nouvelle colocataire, vu les bagages. En même temps elle était peut-être juste là pour me vendre un truc, mais les chances étaient plutôt minces et, comme elle ne chercha pas à me contredire, la chance était donc de mon côté. Elle semblait petite et, surtout, très enjouée et pleine d'énergie, bien qu'un peu timide. Tout de l'adolescente typique, bien qu'elle fut manifestement une jeune femme plus qu'une enfant. La brunette me dit qu'il n'y avait rien d'autre et je ne pu retenir un soupir de soulagement. Ce n'est pas que j'ai eu la flemme de monter ses sacs ou simplement qu'une grande crainte d'être envahi en mon espace personnel des effets de la demoiselle m'ait terrifié... Bon, d'accord, c'était la flemme. Mais il faut aussi mentionner que je n'étais pas très à l'aise avec la possibilité de sortir de l'enceinte de mon appartement torse nu. Quoi qu'il en soit, c'était avec de grands yeux émerveillés qu'elle découvrait le modeste appartement, abandonnant même ses effets sans ménagement pour se jeter auprès du poisson. Je me grattai l'arrière de la tête, me demandant si elle déployait vraiment autant d'énergie dans chacune des petites choses qu'elle faisait. Tout à fait mon opposé il semblerait. Et puis bon, il fallait s'y attendre, une personnalité comme celle là ne serait pas complète sans curiosité, elle me questionna sur l'identité du poisson qui nageait à droite et à gauche avec le même air blasé que son propriétaire. Ne lui aurait plus manqué que la clope au coin des lèvres.

- Il s'appelle Yú-Fish, c'est un mélange de chinois et d'anglais.

Mis ensemble et traduit, le nom du poisson rouge signifiait littéralement Poisson-Poisson, mais tout n'est-il pas plus mignon lorsque répété deux fois? Enfin, je pense. En même temps vous avouerez que questionner un gardien de prison sur ce qui est mignon ou pas, c'est que vous avez du temps à perdre. Bref, je pensais en avoir fini avec les questions, mais cette fille était plus énergique que tous les membres de ma famille réunis. Sitôt sa première question élucidée, la voilà qui se jetait sur mon punching bag pour y envoyer un coup de poing faisant plutôt pitié, soyons sérieux. En même temps bon, l'objet était si lourd que le propriétaire m'avait obligé à consulter un ingénieur avant de le fixer à l'une des poutres. Crétin va, t'avais qu'à bâtir plus solide si t'as peur pour ton plafond. M'enfin, une question avait été posée et je sentais que, si je n'y répondais pas dans les plus brefs délais, ma vie allait devenir un enfer. C'est donc d'un ton las que je répondis, un peu blasé, la laissant faire le tour de propriétaire.

- Du kung fu. Ma mère a commencé à m'enseigner à mon troisième anniversaire, c'est une tradition dans la famille.

Sur ce, je me préparai à m'eclipser pour la petite cuisine, faisant couler un peu d'eau dans la théière, pour servir le thé à ma nouvelle colocataire, simple politesse puisqu'il serait sans doute plus approprié de faire cet interrogatoire devant une tasse bien fumante de thé Earl Grey. Je sortais les tasses du vaisselier lorsque la demoiselle revint à l'assaut, tendant vers moi sa main striée par les poignées de ses lourds bagages. Au moins elle ne manquait pas de volonté et elle savait se débrouiller, voilà de belles qualités pour tout individu. Je lui serrai la main tout en conservant mon air neutre, sans doute peu habitué à un acte demandant autant d'effort que le sourire. Malgré cela, je retins sans mal son nom, le gravant dans un coin de ma tête pour éviter des situations gênantes à l'avenir.

- Yuan Allen Lawford, enchanté. N'hésite pas à t'asseoir à la cuisine, je nous apporte le thé.

Je m'executai d'ailleurs peu après, apportant avec moi une petite assiette de macarons, pour faire changement. Je servis le tout et, après un rapide tour d'horizon de mon regard anthracite pour m'assurer que tout était en ordre et bien propre, je pris place face à la jeune femme, brisant le silence. Oui, c'est inhabituel, mais même moi je me devais de faire des compromis si je ne voulais pas faire -encore- fuir un colocataire.

- J'ai travaillé un moment dans la police et maintenant je suis gardien de prison à Luriguancho. J'ai besoin du salon de quatre heure du matin à six heures pour m'entraîner, ce après quoi je vais courir jusqu'à sept heures. Habituellement après cela je prends une douche, parfois ici, parfois directement au travail. Un soir sur deux je m'entraîne aussi une heure de plus en rentrant, pour bien garder la forme. Ces habitudes ne changent qu'une semaine tous les deux mois, je fais la garde de nuit alors je ne m'entraîne pas ici cette semaine là. Sinon j'aime la musique chinoise, le thé et l'ençens, sans oublier mon allergie aux kiwis. Y a-t-il des choses que je dois savoir à ton sujet ou des questions que tu voudrais me poser?