Cet homme, il te semble familier, tu as l'impression de l'avoir croisé d'innombrable fois dans les rues, à la gare, aux supérettes, peut-être au cinéma? Son regard revêche, sombre comme un linceul funeste, t'interpelle tout autant que sa taille à croquer. D'ailleurs, tu aimerais bien la caresser de tes doigts, y passer tes mains et la ramener contre toi. Sauf que cette idée ne semble pas l'enchanter autant qu'elle t'enchante. Il faut dire que ses paroles brusques et ses regards acerbes sont équivoques. Seulement, tu reviens toujours à la charge, tu deviens taquin, mesquin, doucereux. Tu cherches à le séduire, à l'emmener dans ton lit, car tu n'arrives pas à te sortir de la tête l'impression de le connaitre et ça te tourmente. Cet Abel, au fond, qui était-ce?

♦ Deux faces...

♦ Nope!

♦ Nope!

♦ Le bail

♦ Nope!

♦ Nope!

Lui, c'est l'homme malchanceux qui n'a d'autre choix que de te supporter. Vous partagez la même chambre, le même endroit exigu, et respirez le même air souillé par la fumée des clopes et les relents de moisissure. Bon gré mal gré, vous allez devoir apprendre à cohabiter l'un avec l'autre. Le hic, c'est que tu restes qui tu es et tu le testes. Tu cherches à le découvrir, à cerner sa personnalité, oubliant de réfléchir aux conséquences de tes actes. Plus grand que toi, plus imposant que toi, tu te dis que tu pourrais t'en servir, l'utiliser à bon escient à son insu. Alors, tu te lances dans ce jeu dangereux qu'est la tromperie et l'hypocrisie espérant ne pas t'y brûler les doigts. Jouer avec le feu n'est jamais sans danger.

Les gardes, tu as tendance à les classer dans deux catégories bien distinctes. La première regroupe les fortes têtes, les coincés ou, encore, ces hommes qui devraient être derrière les barreaux plutôt que dans un uniforme. Ce sont ceux que tu évites comme la peste. La deuxième, quant à elle, rassemble ceux qui ont moins de scrupule sans pour autant être à cheval sur le règlement. Ils avaient un bon juste-milieu et Rogelio était de ces gardiens. Avec lui, tu avais pu négocier, établir une attente. Certes, il va de soi que ce blond n'était pas idiot, il savait user de sa matière grise tout autant que toi. Il n'était pas né de la dernière pluie et tu n'obtenais pas sa protection pour un rien, ni le fait qu'il ferme les yeux sur ton petit trafic. Tout avait un prix et c'était encore plus vrai ici. Ce prix que tu lui devais, il te suffisait de briser la loi du silence et de lui refourguer quelques informations par-ci et par-là. Évidemment, tu doses toujours ce que tu lui révèles, marchant sur la ligne fine entre vos deux mondes. Tu sais que tu peux lui faire confiance, qu'il ne reviendra pas sur ses paroles. Ce ne serait ni bon pour toi, ni pour lui.  

♦ Trick or treat

♦ Nope!

♦ Nope!

♦ Magie

♦ Nope!

♦ Nope!

Jackson, ha ce bon Jackson! Tu ne l'as pas rencontré derrière les barreaux, non, c'était une connaissance d'avant ton séjour à Luriguancho. La première fois que vous étiez tombé l'un sur l'autre, c'était à un tournois de poker et ça ne vous avait pas pris des siècles avant de réaliser que vous étiez de la même espèce. Des escrocs, des tricheurs. Qui se ressemble s'assemble, comme on dit. De bonnes connaissances, que vous étiez, mais pas des amis proches qui s'échangent leurs petits secrets, qui se textent matin et soir. Une partie de carte par-ci, une partie de carte par-là. Vous testiez vos habilités l'un sur l'autre, appreniez à devenir de meilleurs menteurs dans le domaine. Jusqu'au jour où Jenkins se fit prendre la main dans le sac, à ce gros tournoi. Toi, tu n'y étais pas, tu magouillais quelque chose de ton côté. Cependant, comme un aimant, tu le rejoins à ton tour dans ce magnifique milieu carcéral. Près d'un an et demi avait passé, toutefois, tu le reconnus aussitôt dans cette marrée de détenus, ne pouvait t'empêcher de le héler, lui lançant tout bonnement de ce ton un peu trop joyeux qui était tien : « Hi darling, it's been a while ♥ »