Leo voulait le voir lui. Le grand, le vert, Ryan. Son modèle, son protecteur. Et tandis qu'il marchait dans les couloirs des cellules, résistant à la tentation d'accélérer, de courir pour mieux se jeter dans ses bras, Leo sentait des sentiments forts l'assiéger. Après tout, c'était en grande partie grâce à cet homme qu'il tenait encore sur ses deux jambes. Il incarnait le pilier contre lequel s'appuyer en cas de problème, les solides épaules capables de supporter son poids. Le jeune détenu se sentait toujours tiré vers le haut par Ryan. Ce dernier faisait également partie de son passé, ou plutôt, de sa brève période de conneries avant Luriguancho. Son visage comptait parmi ceux qui lui rappelaient sa liberté.

Bref, sa compagnie lui manquait et pour une fois, Leo avait l'esprit relativement tranquille. Il ne s'était encore rien passé, en cette journée qu'il croyait exceptionnellement calme. Pas d'accrochage avec un autre détenu ou un membre du personnel, aucune embrouille non plus pendant l'heure des douches, ni de mauvaises surprises au menu du déjeuner. En fait, la seule chose qui lui manquait, c'était l'une de ces fameuses caresses que le vert faisait subir à sa chevelure en bataille.

Un rictus naquit au coin de ses lèvres alors qu'il s'apprêtait finalement à atteindre sa destination. Néanmoins, celui-ci disparut à la vue d'une silhouette familière se tenant devant la cellule convoitée. Ce n'était pas Ryan. Il s'agissait même du contraire de la personne que Leo chérissait.

« Kyllian... »

Le jeune Deveccian vit instantanément disparaître sa bonne humeur, qui laissa place à un certain mépris, à l'égard du plus grand.

Ce type, il le détestait. Á ses yeux, Kyllian était le responsable de tous ses malheurs, mais surtout de son incarcération. Autrefois, alors qu'il se trouvait à la rue, complètement désespéré, cette racaille lui avait tendu la main... Et Leo l'avait saisit, sans se douter que son propriétaire le mènerait à un avenir empreint de danger, de risques et d'erreurs. Il le savait déjà claustré à Luriguancho depuis un certain temps, et bien qu'il eut évité au mieux le dialogue avec ce démon, une tension persistait encore et toujours entre les deux détenus. Comme si depuis quelque temps, ils désiraient ardemment  la même chose... Ou plutôt, la même personne. Tous deux avaient une attirance certaine pour Ryan. Seulement, Leo n'en était pas vraiment sûr. Pas vraiment conscient. Pourtant, le jeune détenu savait parfaitement que lui et Kyllian ne pourraient jamais s'entendre...

Leo le voyait comme un ennemi, le genre de gars qu'il voudrait tabasser autant de fois que possible si  il en avait un jour la moindre capacité. Pour cette fois-ci, il tenta de paraître le moins désagréable possible, dans l'espoir de finir cette journée sans hostilités.

« Est-ce que t'as vu Ryan? »

Lança le brun en fronçant légèrement les sourcils. Il se tenait à moins de deux mètres de Kyllian et ne daignait avancer pour vérifier lui-même l'intérieur de la cellule. C'est dire combien il se méfiait de ce type.

Leo retenait tant bien que mal cette rage précoce qui pesait sur son ventre. Ses poings tremblaient dans le creux de ses poches, et son poux s'accélerait en un temps record, si bien qu'il faillit rater un battement de coeur. Il détestait ce sourire naissant face à lui, ce regard méprisant et surtout la facilité avec laquelle Kyllian parvenait à le démonter verbalement. Ses paroles jaillissaient avec tant de condescendance que le jeune Deveccian lui rendit avant tout un regard de mort, sans même réfléchir à une quelconque réponse. Tout ce qu'il désirait, c'était de le voir disparaître, souffrant, ou mieux encore, complètement soumis à lui. Oui, Leo rêvait d'échanger les rôles, et de pouvoir à son tour asseoire sa domination sur quelqu'un de particulièrement faible.

Seulement, quoi qu'il espère, le jeune Deveccian ne s'améliorait pas. Il attendait parfois de son séjour en prison une évolution, un gain de force ou de maturité, mais chaque jour l'univers carcéral lui rapellait qu'il n'était qu'un agneau, qu'un poussin, ou au mieux, un chiot qui aboit fort dans une cage à loups.

« Non. Et même si c'était le cas, je ne te le dirai pas. »

Pour une fois, Leo aurait voulu se montrer plus intelligent que Kyllian, user de répartie pour le ridiculiser, avoir le dessus rien q'un instant, rien qu'une fraction de seconde. Mais sa langue immobile se contentait de tourner en boucle derrière ses dents grinçantes tandis que l'ancien chef de gang en rajoutait. La respiration du jeune détenu se faisait toujours plus intense, à chaque fois qu'un nouveau mot venait racler le peu de dignité qui lui restait. Un millions d'insultes fusaient à travers ses pensées.

« Retourne dans ta piaule, p'tit. T'as rien à faire là. »

Petit. Oui. Encore. La taille, l'âge : petit.

Leo n'arriverait jamais à s'habituer. C'est pourquoi il libéra un long soupir, qui s'acheva sur quelque tremblements. Il s'apprêtait à lâcher une simple insulte, un bref ramassis de haine sensé lui rendre un soupçon de crédibilité, quand l'aîné vint le bousculer efficacement.
L'espagnol se retourna brusquement vers son ennemi pour saisir son bras, enfonçant ainsi ses ongles le plus profondément qu'il le pouvait à dans sa peau.

« Vas te faire ..! »

Déterminé, le jeune Deveccian ramena sa tête contre le bras qu'il refusait de lâcher et y infligea une vilaine morsure, profonde et chargée d'une agressivité considérable.