Ailein n'aime pas parler de son passé ni même d'elle. Elle n'aime pas se rappeler de sa propre naissance, ce n'était pas une enfant désirée. C'est juste le résultat d'une nuit sans protection, une nuit entre deux adultes irresponsables, stupides. Six mois plus tard, elle était née mais sans l'aide d'un quelconque médecin. Ailein est née sur une couverture dans un vieux taudis du Pérou. Pas d'acte de naissance, pas de vraie date d'anniversaire, rien n'attestant de son existence.
A peine née, elle fut jetée dans le placard, c'était une erreur pour sa mère qui ne la désirait pas. Son espérance de vie était faible, si son frère n'avait pas été là, elle serait morte rapidement. Les premiers mois furent les plus durs, néanmoins deux ans après, elle put finalement regarder son aîné en lui souriant. Ce jour-là, il a pleuré et elle a rigolé. Un rire juste innocent, naïf. Parce que Ailein ne comprenait pas encore la vie, qu'elle n'avait pas besoin de manger énormément, qu'elle n'avait besoin que de cet amour pour son frère.
Chouchoutée par Clyde, elle se nourrissait peu comme lui. La différence c'est qu'il lui donnait souvent ses restes pour qu'elle n'ait jamais son ventre vide. En échange, elle restait près de lui, tendrement elle le serrait. Parce qu'elle l'aimait beaucoup, c'était la première personne qu'elle avait vu, un peu comme une mère. De la même façon que son frère, elle n'allait pas à l'école. A la place, son frère lui apprenait un alphabet plus ou moins incomplet, quelques mots pour qu'elle s'exprime mais le plus important à ses yeux restait son nom ; Clyde. D'ailleurs elle l'appelait beaucoup.
Un jour, Alein a pleuré. Parce qu'elle avait peur de la foudre qui frappait trop fort, elle a eu peur et a crié. Elle pleurait, hurlait en pleine nuit. Papa a tenté de l'étrangler et Clyde l'a défendu. A cause de ses cris, il a perdu un oeil cette nuit là. Devant les yeux écarquillés de sa soeur, apeurée. C'était pas la pluie. C'était pas à cause de la scène. C'est parce qu'à cause d'elle, son frère souffrait. Elle l'a serré dans ses bras comme elle le pouvait. Comme pour qu'il n'ait plus mal. Le lendemain, Clyde portait un cache oeil. Ailein fit pareille. Pour qu'il ait moins mal. Elle n'a plus crié après ça.
Lorsqu'ils quittaient le placard, nus, Clyde passait toujours devant. Comme cela, Ailein ne recevait pas un seul coup de son père, elle devait regarder les scènes. Incompréhension, tristesse gagnaient ses magnifiques yeux, pourtant elle ne bougeait pas. Elle ne savait pas quoi faire. Elle voulait l'aider mais il faisait cela pour la protéger. Alors, elle regardait. Pas pour que Clyde se sente rabaissé, pas pour montrer que Papa avait raison.... Non, elle regardait simplement pour lui montrer qu'elle était fière, qu'elle le soutenait de sa petite taille.
Ailein grandissait plus vite. Elle avait des longs cheveux pas très beaux. Ils partaient dans tous les sens, jamais brossés ni coiffés. Elle n'avait pas honte de son corps nu même si elle commençait à s'interroger sur ce dernier, qu'elle n'était pas comme son frère. Pourquoi ? C'est ce qu'elle demandait. Parce qu'elle était une fille et pas un garçon. A ce moment, elle ne savait pas les problèmes que cette réalité allait lui causer.
Ailein elle a grandit. Clyde aussi. Clyde dut partir aux champs. Ailein avait peur sans lui, elle s'est enfermée dans le placard, n'a pas bougé ni parlé. Elle voulait le voir vite. Les soirs son frère revenait avec des repas normaux. Les yeux de Ailein s'illuminaient quand elle les partageait avec son aînée. Elle souriait encore, naïve et joyeuse de ces nouvelles choses qui lui remplissaient l'estomac. Comme son frère portait quelque chose sur le dos, elle l'a imité et a porté un drap gris. Cela lui faisait une drôle de robe mais c'était amusant.
Tous les jours, elle restait dans le placard à attendre son frère, souriant doucement à l'idée d'être comblée par ces nouveaux repas. Chaque jour une nouveauté qui l'émerveillait. Quelques années ont défilé avec cette même routine jusqu'à ses dit treize ans. Mauvais endroit mauvais moment, elle était sortie du placard plus tôt. Il y avait des bouteilles sur le sol, de la poudre blanche par endroit, sale et pollué. Son père lâcha une bouteille devant elle qui éclata, il était encore plus maladroit que d'habitude. Ailein voulut partir dans le placard mais il avait attrapé ses cheveux pour la traîner par terre, elle avait tenté de se retenir à la porte mais ne put lutter. Ses lèvres s'entrouvraient pour murmurer ce nom plusieurs fois ;
« Clyde,...Clyde... Clyde,..Clyde... »
Rien. Il n'était pas là. Ailein avait peur. Lorsqu'elle fut jetée sur le canapé, elle n'avait encore rien compris. Sa génitrice ne bougeait pas, elle sniffait de la poudre blanche sans ciller. Le seul drap qui couvrait son corps et la reliait à Clyde fut arraché d'un coup. Le porc de père qu'elle avait l'observait avec ce mauvais sourire aux lèvres qui ne présageait rien de bon. Ailein avait peur, ses lèvres tremblaient, son regard s'écarquillait doucement alors que son géniteur écarta ses cuisses. Il avait posé ses mains sur ses genoux, elle ne pouvait pas refermer ses jambes. Lorsque d'une main pressée il retira son pantalon, Ailein eut un très mauvais pressentiment.
.... J'ai mal Clyde. Au-dessus d'elle, son père s'enjaillait dans des mouvements écoeurants. Ailein avait basculé sa tête sur le côté, les premières minutes elle avait crié mais maintenant, sa voix avait disparu. Son regard était vide, son corps souffrait, douloureusement. Les larmes glissaient sur ses joues, elle observait la porte. Clyde, Clyde, viendra. C'est ce qu'elle voulait. C'est ce qu'elle espérait. Ce viol la faisait saigner, jeune, impure. Les râles qu'elle entendait lui donnaient envie de vomir, son corps était empli de crampes. Deux liquides se mélangeaient dans son entrejambe, le sang mais aussi ce blanc représentatif du sperme.
Clyde, Clyde... Il tourna la poignée et elle croisa son regard. Ses lèvres bougèrent très lentement, silencieusement. Aucun son, elle ne pouvait pas. Mais Clyde, il a rompu le silence, il a crié. Il était en colère, énervé et il a attrapé une bouteille pour détruire la cause de cette souffrance. Ailein ne sentait plus aucun mouvement mais c'était trop gros, elle a toujours mal mais observe juste. Clyde, il détruit tout ce mal, il met fin à cette souffrance. Clyde s'approche, il retire cette présence de son corps mais elle ne peut pas sourire. Elle ne peut pas le regarder, ses yeux sont pétrifiés. Il la sert dans ses bras mais elle ne peut pas réagir, elle n'a pas la force de bouger ses bras pour pleurer contre lui.
Elle a les yeux ouverts mais ne peut rien faire d'autres. Son corps est brisé et le restera. Ailein ne peut pas l'en empêcher, Clyde part. Clyde s'en va et elle tend son bras vers lui doucement, ses lèvres bougent mais rien ne sort. Les policiers s'avancent et elle crie, elle a mal entre les jambes et se débat pour qu'on la laisse tranquille. Cependant, on finit par l'emmener, elle griffe, elle mord et elle crie encore son nom. Mais trop tard, il ne peut pas l'entendre.
Ailein n'a pas envie de parler mais on lui pose plein de questions. Elle veut revoir son frère, elle veut juste être seule. Sauf qu'on ne connaissait pas son existence et elle doit remplir beaucoup de paperasse. Elle ne fait rien, elle est immobile sur sa chaise. Après une semaine, elle prononce un nom. Le sien et c'est ainsi qu'elle obtient une identité. On lui donne quinze ans même si elle ne les a pas encore.
« Cl...Clyde... où est...Clyde ? »
Elle apprit qu'elle ne le reverrait pas. Clyde était partit dans un endroit appelé prison. Ailein fut placée dans un orphelinat et voyait une psychologue ainsi que des médecins de temps en temps. Elle est restée cloitrée dans un coin, ne le quittant jamais, ne parlant à aucun autre. Chaque nuit, elle s'en souvenait comme de la veille. De ce que son père lui avait fait subir. Après deux mois, elle ne ressentait plus de douleurs mais sa mémoire n'avait pas totalement oublié. Qui qu'il soit, si un homme l'approchait elle se montrait très agressive. Réaction témoignant de sa peur.
Le point positif à être orpheline c'est qu'Ailein eut droit à plus de nourriture, elle pouvait manger, beaucoup. Elle pouvait se laver, souvent, autant qu'elle le voulait. Elle put se brosser les cheveux aussi. Et les dents, parce que sinon les autres disaient que c'était pas propre. Ailein ne comprenait pas pourquoi, elle n'avait jamais eu besoin de tout ça. Ailein paraissait toujours plus âgée, elle avait eu ses dix-set ans {bien qu'en réalité elle n'en avait que quinze) et peu de monde pensait qu'on l'adopterait. Trop renfermée, pas assez souriante, trop muette. Avec son traumatisme, elle était fermée sur tout avenir, tout espoir d'adoption.
Néanmoins, Ailein était mignonne, elle n'avait pas une masse de graisse à cause de son enfance où les repas étaient rares. Elle s'était débarrassée de l'odeur des déchets et avait des sous-vêtements puis des vêtements. C'était des trucs de gamins avec des motifs de fleurs et de cerises mais au moins, elle avait récupéré une certaine dignité. Une humanité qui lui avait échappé pendant ses débuts de vie. Sauf qu'elle devait poursuivre seule.
Une autre année s'est écoulée, on la nomma majeure même si c'était faux. Elle était encore jeune et dans un mois elle devrait commencer à travailler dans un domaine inconnu. Tout se chamboulerait sans qu'elle ne puisse contrôler. Ailein ne savait pas ce qui lui arriverait, elle n'avait pas de projet particulier, de plus c'était impossible qu'elle parte dans une voie qu'elle aimerait. Partout il y aurait des hommes, partout elle serait oppressée.
Ailein avait décidé de se reposer une après-midi, dans l'infirmerie. Elle méditait sur ce qu'elle allait devenir quand la porte s'est ouverte. Scénario fréquent, l'infirmière devait sortir ou rentrer pour prendre des papiers et des médicaments... Elle ferma ses yeux alors qu'une ombre s'avançait et tira sur le rideau. A peine ouvra t-elle les yeux qu'elle se retrouva nez à nez avec un garçon. Prise de cours, une main plaquée contre ses lèvres, elle tenta de le mordre mais ne le put. Cette scène déplaisante lui rappela forcément son géniteur.
Peut-être était-ce faux ? Ou vrai ? Elle n'aura jamais pu le savoir. Sa main avait agrippé un vase posé sur une table basse et le lança vers sa tête. Il se le reçut et lâcha sa prise pour poser ses mains au niveau de l'impact. Ailein s'est redressée, elle a été prise d'une peur bleue, elle a attrapé tout ce qui lui passait entre les doigts, la table vola, les oreillers, les couvertures, tout. Encore apeurée, elle sortit du lit et se recula. Complètement assommé, le garçon retirait les couvertures alors qu'il saignait. Là, il était en colère et l'effraya encore, encore elle avait peur.
Clyde, Clyde... Se murmurait-elle alors qu'elle attrapa un énième objet pour le lancer. C'était par pur réflexe, par simple peur. Pourtant, lorsqu'elle souleva la chaise et la lança dans un élan de peur. La suite fut flou, elle avait visé trop bien avant de tomber au sol et de se cacher sous le bureau. La tête entre ses genoux, elle a attendu. L'infirmière est revenue et a crié, elle a tout de suite appelé une ambulance avant de trouver Ailein cachée. Ailein ne parlait pas mais au vue de la scène on comprit qu'elle avait fait ça.
On l'emmena face au Juge, elle a été jugée rapidement, les preuves étaient trop nombreuses. Tout ce qu'elle disait était le nom de son frère. Son avocat essaya de minimiser sa peine en expliquant son histoire, sa peur des hommes et tout le reste... Les nombres ne l'intéressaient pas, elle comprenait à peine ce qui se disait. Elle fut juste envoyée dans une prison, le nombre d'hommes était trop grand. La peur la prenait de plus en plus, elle ne voulait pas être là. Pourtant, une seule personne, la seule qu'elle ait aimé était ici. Alors Ailein fut heureuse d'être là. Elle colle le bras de Clyde depuis et ne le lâche pas, elle l'appelle et il répond. Elle l'a retrouvé.